Item Detail
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French
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Etre Francais dans une Eglise d'origine americaine : les Mormons de Francais
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Les mutations transatlantiques des religion
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Bordeaux
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Presses Universitaires de Bordeaux
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279-308
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Ce travail [1] s'insère dans la problématique qui m'intéresse depuis plus de vingt-cinq ans : comment l'Amérique influence-t-elle les religions qui éclosent sur son sol ? Lorsque de nouvelles religions se créent, elles réagissent vis-à-vis des valeurs et des pratiques culturelles de la société dominante selon deux modalités majeures. Certaines rejettent ces principes en bloc, prônent le séparatisme social et culturel et inventent leur propre système (qui pourtant, à l'analyse, portera encore la marque du substrat original) ; d'autres, tout en affichant également un refus de la culture dominante, en sélectionnent diverses valeurs, les sacralisent en les incorporant à leur doctrine, les transforment en articles de foi et échafaudent un système qui paraîtra original tout en demeurant dans une certaine lignée spirituelle et culturelle. L'Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours, connue sous le nom de mormonisme (terme toujours considéré officiellement comme péjoratif, mais de plus en plus usité sans aucune ironie) s'est développée à la fois contre la société américaine du dix-neuvième siècle et en harmonie avec elle, et c'est par cette Église que j'ai commencé en 1973 à étudier l'influence des États-Unis sur les religions.
J'avais rencontré les saints des derniers jours de la banlieue de Bordeaux par l'entremise de missionnaires américains. Étudiante en anglais avec une prédilection pour les États-Unis, j'ai de suite eu envie de leur parler. Je fréquentais aussi les témoins de Jéhovah et la salle de lecture de la science chrétienne, mais sans jamais trouver la même adéquation entre ces religions et l'Amérique (il aurait fallu alors bien connaître la pensée positive et le millénarisme américain pour pouvoir les situer dans un certain contexte culturel). En revanche avec les missionnaires mormons, il n'était pas possible de faire la part entre le culturel et le religieux : entre, d'un côté, les États-Unis de l'Ouest représentés par les photos que ces ambassadeurs montraient des parcs de l'Utah ou des pyramides du Mexique (censées prouver la parenté entre les ancêtres des mormons et les bâtisseurs de pyramides en Egypte) et, de l'autre, une pratique religieuse originale et différente de celles que je connaissais.
En étudiant l'histoire du mormonisme et de sa doctrine et au cours de mes différents séjours à Salt Lake City, j'ai été à nouveau frappée par les rapports intimes qui unissaient les saints à l'histoire et à la société américaine du dix-neuvième puis du vingtième siècles. J'ai pu rencontrer à l'Université de Californie à Santa Barbara le grand spécialiste de cette religion, Thomas O'Dea, dont le travail corroborait mes impressions. Il appelait le mormonisme "America in miniature", estimant que les saints avaient élaboré un microcosme à l'image du macrocosme qu'étaient les États-Unis. Des historiens mormons eux-mêmes comme Michael Homer et Grant Underwood l'ont fait à Turin, ont montré comment le mormonisme du dix-neuvième siècle appartenait à son siècle, notamment dans sa vision du millénarisme, même s'il avait dû s'isoler pour survivre, phénomène là encore typiquement américain.